|
| Jaffrenou propage-t-il les thèmes du « mouvement breton » antisémite ?Le Scouëzec se porte également garant du rejet par Jaffrenou de l’antisémitisme, en citant pour sa défense son article paru en janvier 1943 dans La Bretagne, (n° 568, 19 janvier 1943, Une et page 2). Le Scouëzec cite à l’appui de ses dires cette phrase : "La question juive préoccupe actuellement le monde entier. Défenseurs de la richesse par la Finance internationale, les magnats — dont 40 000 ont été chassés d’Allemagne — se vengent en essayant d’abattre cette nation.". (ibid., p. 113) Phrase anodine ? Comment ne pas y voir la reprise de la propagande nazie de la part d’un militant nationaliste qui s’est rallié à l’ Europe Nouvelle ? Le Scouëzec cite encore Jaffrenou écrivant : "Nous, Bretons, qui n'avons guère de Juifs parmi nous, et même pas du tout, et qui par conséquent ne comprenons bas très bien les raisons vitales qui ont obligé d’autres nations européennes à chasser les Juifs". Autre phrase anodine ? Mais comment ne pas y voir la reprise de ce qu'expliquait Olier Mordrel (un des principaux dirigeants antisémites du Parti National Breton, parmi les plus ouvertement ralliés au nazisme) en 1932 : "En Bretagne, où nous ne possédons peut-être pas deux mille Juifs sur une population de plus de trois millions d'habitants, l'idée même de l'antisémitisme est incomprise" ? (Breiz Atao n° 163, 20 novembre 1932 : Le Juif et "Notre Juif") Le Scouëzec ne reproduit pas la phrase-clef de Jaffrenou, en pleine déportation des Juifs : "Le 10 avril 1940, le duc Jean Ier rendit un édit - d'après Dom Morice - bannissant les Juifs et amnistiant leurs assassins.". Quand les Juifs sont bannis et assassinés, déportés et massacrés au grand jour, Jaffrenou propage ce qui est devenu un leitmotiv glorieux du "mouvement breton" en hommage au duc Jean de Bretagne liquidant les Juifs, un leitmotiv repris par l’abbé Perrot, propagé par L'Heure Bretonne, Dihunamb, La Bretagne : "Que personne ne sera recherché pour avoir tué un Juif" (L’Heure Bretonne, n° 52, 5 juillet 1941, p. 3).
L’historienne Jacqueline Sainclivier relève que "À plusieurs reprises, le quotidien régionaliste prend des positions antisémites, allant rechercher dans le passé de la Bretagne indépendante des actes antisémites tel l’édit d’expulsion des juifs du duc Jean II." (La Bretagne dans la guerre (1939-1945), p 88). On ne peut pas dire que ces faits soient ignorés des historiens, même si, ne lisant pas le breton, ils peuvent prétendre ne pas avoir mesuré la gravité des chroniques racistes en cette langue.
L’article de Jaffrenou s’inscrit dans une campagne antisémite particulièrement virulente dans la chronique en breton dirigée par Xavier de Langlais du 1er juillet au 9 août 1942, mais aussi le 11 janvier 1943 sous la plume de Henri Pollès déplorant que le folklore français se soit « négro-judaïsé (Haarlem est une ville noire fécondée par le bacille juif ». Une semaine après, Taldir présente l’Allemagne comme victime des juifs : « Détenteurs de la richesse par la finance internationale, les magnats, dont 40 000 ont été chassés d’Allemagne, se vengent en essayant d’abattre cette nation. » Infortunée Allemagne nazie contrainte de se défendre contre les Juifs qu’elle a chassés ! Le Grand Druide actuel qui se dit « connu pour un certain nombre de prises de position de gauche » et « en 1988 a reconnu, au nom de la Gorsedd, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme » (ibid., p. 18) ne voit là rien à redire : « on ne retrouve nulle part le racisme, la ligne des nationalistes et des autonomistes (sic) … Il n’était pas plus antisémite que membre de la LVF ou du Travail volontaire en Allemagne. » (ibid., p. 114). Pour ce qui est de la LVF, nous avons vu ce qu’il en était. Pour l’antisémitisme, la conclusion n’est pas moins claire. Cela n’a, du reste, rien de surprenant si nous reprenons l’itinéraire de Taldir. Examinons son journal Ar Bobl.
Breiz Dishual, journal du premier Parti National Breton fondé en 1911, entame très naturellement une « chronique » sur « Les métèques » (Breiz Dishual, « Les métèques », n° 10, avril 1913, p.4) en avril 1913, en citant « Ar Bobl du 18 janvier » 1913, le journal de Taldir Jaffrenou, dénonçant : « les Parisiens et autres nègres français qui n'ont plus ni traditions, ni langue, ni esprit racial. Ainsi, parce que la loi confère au Breton et au nègre martiniquais le même droit de vote, le nègre est un Breton, et le Breton est un nègre. Assurément, un Druide ne saurait comprendre ce syllogisme normand ou nègre et je veux espérer qu'un Breton ne le comprendra jamais. C'est grâce à la propagation de semblables syllogismes que tant de métèques s'implantent partout, moissonnent le blé et corrompent l'esprit des peuples assez simples pour les adopter. » (Breiz Dishual, « Les métèques », n° 10, avril 1913, p.4) Le "nationalisme breton", dès les origines, s'appuie sur Drumont, organisateur des infâmes campagnes antisémites lors de l'affaire Dreyfus et après. Breiz Dishual est explicite : « Éphémérides Nationales (…) Janvier 1909 - Remarquable article d'Édouard Drumont, le maître du journalisme français, qui, le premier d'entre ses compatriotes, ose reconnaître dans un leader de La Libre Parole intitulé " Lettres de Bretagne " la légitimité des tendances séparatistes chez les Bretons. » (Breiz Dishual, « Éphémérides Nationales », n° 7, janvier 1913, p. 5). Voyons également sur quelles bases est fondée l’Union Régionaliste Bretonne où agit Jaffrenou :
Les positions nationalistes des dirigeants de l’URB sont connues, telles celles stigmatisées par Déguignet, du marquis Régis de l’Estourbeillon, député de Vannes, antisémite, antidreyfusard et adversaire déclaré du mouvement socialiste naissant, fondateur de l’URB en 1898. Donc, en décembre 1898, l'année où il fonde l'Union Régionaliste Bretonne, le marquis Régis de l’Estourbeillon est annoncé comme tête d'affiche d'une "grande réunion antisémite", avec "Jules Guérin, directeur de l'Anti-Juif" et président de la Ligue antisémitique. Quoi d’étonnant si le racisme reprend ses droits en une période jugée faste par les militants bretons ? Une période faste et qui aurait pu l’être davantage… |
|
|