(Texte extrait de "L'Armor Libre Penseur" bulletin N° 6, page 10)
“ Les vacances m'ont conduit à Corte, au cœur historique et géographique de la Corse, pour assister, au début du mois d'août, au rendez-vous annuel des nationalistes de l'Ile. A la tribune siégeaient les organisateurs, Jean-Guy Talamoni au centre, et tous les représentants des groupes invités Basques, Bretons, Catalans, Galiciens et Guyanais. J'ai lu dans les journaux que la salle était bondée, j'ai plutôt trouvé qu'il y avait peu de monde en regard du battage médiatique. A peine quelques stands pour vendre livres, CD et gadgets classiques dans ce genre de rassemblement.
De ce qu'ont dit les nationalistes corses, tout est connu ce jour-là ; ils plaidaient pour le rapprochement des prisonniers des familles et pour l'amnistie généralisée, même pour les crimes de sang. J'ai eu le sentiment que c'était le seul point capable de les fédérer. Pour le reste, ils ne sont pas d'accord sur beaucoup de choses entre les décentralisateurs, les autonomistes, les indépendantistes ... il y a de la marge.
En fait, ce qui m'a attiré, ce sont les autres groupes. Qui étaient-ils ? Qu'allaient-ils dire ? Qui étaient ces Bretons annoncés partout comme si la situation dans la péninsule était la même que dans l'île ? J'avoue avoir été, au fil des interventions, tétanisé. J'étais seulement rassuré en pensant qu'ils ne sont pas à la veille de diriger la France ou leur région.
La déléguée du Pays Basque a plaidé pour la création du département basque. Pourquoi pas, à première vue. Quand j'ai entendu ses arguments, j'ai été effrayé. D'abord, disait-elle, il faut s'appuyer sur cette revendication plutôt acceptée par la population afin d'amener celle-ci à une prise de conscience «nationale » et à lui faire franchir une nouvelle marche vers l'indépendance. Elle déclare que son ennemi, c'est l'Etat. J'appelle cela de la manipulation, plus directement de la malhonnêteté.
Ensuite, il faut un département basque parce que les Béarnais sont les plus nombreux dans les Pyrénées Atlantique. Comment faire le «tri»? Que faire des Béarnais ? J'ai vu tout de suite le terrible engrenage. C'est pour des raisons semblables que les Croates et les Serbes se sont séparés et réunis à l'intérieur de leurs propres frontières avec le désastre que l'on sait. La nation française est une communauté politique et non une communauté ethnique. D'un coup, j'ai été guéri du département basque ! D'autant que cette déléguée appelait à déchirer la carte d'identité française.
Vint le tour du délégué de la Galicie espagnole, il n'était pas le champion de la paix et de la démocratie. Sa conclusion a été simple et carrée tous les moyens sont bons pour arriver à nos fins ; lutte armée, désobéissance civile, pratiques illégales. Tonnerre d'applaudissements, sauf les miens qui se feront encore attendre longtemps. Sans doute l'orateur ignorait-il que la première victime du nationalisme basque de 1'ETA, il y a trente ans, était un jeune garde civil espagnol ... originaire de Galice.
Enfin, le délégué de la Bretagne, je ne le connaissais pas. Il s'est présenté comme le représentant du porte-parole de son organisation, incarcéré comme sept d'entre eux. J'en ai déduit qu'il s'agissait d'Emgann. Évidemment pas un mot sur les raisons de cette détention provisoire liée à l'enquête sur l'attentat du McDo de Quévert, qui a fait une victime. Il a énuméré les prétendus souhaits des Bretons ; la reconstitution du duché par le rattachement de la Loire-Atlantique; la langue bretonne comme langue officielle de la Bretagne (le pays gallo appréciera) ; le maintien dans la région de tous les impôts payés (bonjour l'esprit de solidarité qui consiste à donner mais aussi à recevoir, la Bretagne n'a pas forcément été perdante) ; le rapprochement et l'amnistie des personnes incarcérées et leur reconnaissance comme «détenus politiques»; la suppression de Paris et de la France comme échelons inutiles entre la Bretagne et l'Europe ; enfin, l'indépendance de la Bretagne comme objectif final avec un argument qui mérite d'être connu le traité d'union n'ayant jamais été validé par les Bretons, ceux-ci sont «virtuellement indépendants ». Je connaissais l'image virtuelle, j'ignorais la politique virtuelle! On en apprend tous les jours.
Une chose enfin m'a choqué sans arrêt, et dans beaucoup de bouches, l'Europe a été présentée comme un levier à utiliser dans cette quête d'indépendance et de séparatisme. Une Europe présentée non comme une construction positive pour elle-même, mais comme une arme contre la France, ses valeurs, son histoire, son rayonnement. Un voyage instructif ".
Bernard Poignant* (Le Monde 29/08/01)
* Bernard Poignant est député européen (PS).
Ancien maire de Quimper, il est l'auteur d'un rapport en faveur de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires dans lequel les mouvements ethnolinguistiques et indépendantistes, en Corse comme en Bretagne. ont trouvé des encouragements à leur cause.
Publié sur le site des Athés d'Ille-et-Vilaine