|
| Qui sont les Celtes? Cet article n’a pas d’autre ambition que d’inciter à la réflexion sur un courant relativement récent dont les implications pourraient être moins anodines qu’il n’y paraît. Le contenu de cet article en matière de réflexions possède donc un caractère provisoire. Ce courant est celui du celtisme, présent en Bretagne, mais qui a tendance à dépasser ce cadre régional. Je voudrais m’interroger sur celui-ci, notamment sur ce qu’il prétend être et sur ses présupposés. Mon idée est que ce courant est loin d’être totalement innocent ou dépourvu d’idéologie. Pour commencer, on peut signaler quelque chose qui a certainement intrigué les historiens ou les curieux. Qui invoque-t-on au nom du celtisme ? Qui sont ceux qui sont désignés par le nom de “celtes” ? Visiblement, des contemporains: bretons, galliciens, gallois et irlandais. Au nom de quoi sont-ils ainsi dénommés ? Au nom d’un passé et d’un héritage communs. Il serait alors peut-être bon de s’interroger à propos de ce passé et de cet héritage. Quels sont-ils en effet ? Le passé que l’on invoque, à travers le nom de “celtes”, est très lointain: les traces restantes des peuples et civilisations celtiques sont peu nombreuses, surtout quand on les compare avec les restes des autres civilisations qui ont façonné notre époque (les cultures latines, grecques et juives, pour ne citer que celles-ci). On parle souvent de musique “celtique”. Mais celle-ci a-t-elle une réalité ? Les Celtes, qui existaient il y a plus de deux mille ans, jouaient donc du biniou, de la bombarde, de la cornemuse et de la harpe ? D’ailleurs, on parle quasi-systématiquement, en tout cas en France, de harpe “celtique“. Mais cette harpe est-elle réellement “celtique” ? Ne serait-ce pas une appropriation indue? En effet, cette harpe n’est-elle pas tout simplement irlandaise? A-t-on jamais fabriqué une telle harpe en Bretagne si ce n’est à une époque très récente en copiant effectivement une harpe on fait d’origine irlandaise ? Que dire alors d’autres éléments estampillés “celtes“ qui ont peut-être une fâcheuse tendance à baptiser de “celte“ un peu tout et n’importe quoi. Qu’en est-il, par ailleurs, de la langue? Que reste-t-il, on effet, des langues celtes - car chacun sait en réfléchissant un peu ou en se documentant qu’il y avait non pas un mais des peuples celtes - ? Peu de choses, apparemment, à condition évidemment de ne pas confondre la ou les langues bretonnes actuelles avec ce que pouvaient être les langues celtes d’antan ; sinon, on aurait affaire à la même erreur que pour la harpe irlandaise. En fait, les langues celtes étaient purement orales donc, il est tout bonnement très difficile de les connaître. Autrement dit, les celtes n’existent plus. Mais ce n’est pas le plus important. Car il faut ajouter que, s’ils ont existé, c’est certainement en tant que peuples distincts possédant certes des traits de parenté culturelle, mais peut-être comme il y en a aujourd’hui entre les slaves. Cette “parenté”, comme toute parenté, a ses limites, comme on le voit par exemple dans l’ex-Yougoslavie. Alors, je crains bien qu’au nom du celtisme, on invoque un passé mythifié, fictif et reconstruit pour la cause. La réalité celte n’est plus. Mais elle n’a jamais été, en tout cas, tels que certains la rêvent. En d’autres temps, une fiction indo-européenne avait été invoquée de la sorte. On retrouve là la nostalgie illusoire d’un âge d’or, d’une unité et d’une pureté originelle mythique et prétendument perdue, une utopie “à rebours”, c’est à dire au sens vrai du mot réactionnaire. On glorifie ici et là la culture de nos prétendues racines. Mais on oublie que les hommes - ne sont pas des plantes et n’ont pas, contrairement à elles, de racines, même s’ils en ont la nostalgie. Une différence fondamentale entre la plante et l’animal (et par conséquent, l’homme), comme l’a vu notamment Aristote en son temps, est que l’animal est doué de locomotion. L’animal se meut... l’homme aussi... les arbres, non. Effectivement, le nomadisme est un fait humain et ce depuis l’apparition de l’humanité sur la terre. D’ailleurs, les celtes eux-mêmes étaient nomades avant de s’installer on Europe où il existait déjà d’autres peuples avant leur venue... Peuples dont on parle peu, mais qui existaient en Europe avant les celtes et qui auraient peut-être autant de dignité qu’eux. Mais on sait depuis longtemps quel crédit il faut accorder aux fantasmes d’un peuple originaire. Par le nomadisme, on comprend aisément comment les peuples et les cultures peuvent se mélanger et se fondre pour former d’autres peuples et d’autres cultures. N’est-ce pas là un fait bien humain ? Faut-il aussi rappeler que l’invention des frontières est un fait récent? Les celtes, justement, eux, les ignoraient... L’histoire montre que les cultures peuvent disparaître pour laisser place à d’autres cultures. Une culture n’est pas une valeur, mais un fait ou un ensemble de faits. Tout être humain est le produit d’une culture, il peut même quelquefois en être prisonnier. Aucune culture n’est supérieure à une autre. Aucune culture n’a plus de valeur qu’une autre. Nier ces évidences revient à donner crédit aux pseudo-théories racistes ou xénophobes. On peut alors s’interroger sur le sens idéologique et politique - la culture précédant souvent la politique, certains ayant appris la leçon - de ce courant. Quel est l’intérêt de l’invocation des “celtes“ et de la valorisation d’une prétendue culture celtique ? Je vois au moins deux éléments essentiels de réponse qui ne sont certainement pas les seuls. Premièrement, il peut s’agir là, comme je le l’ai évoqué auparavant, d’une idéologie réactionnaire qui vise à défendre une prétendue pureté ethnique recouverte par les âges et qu’il s’agirait en quelque sorte de redécouvrir pour l’exalter à grands renforts de spiritualité de pacotille, style new-age (comme on a l’occasion de le voir dans certaines manifestations du celtisme). La représentation traditionnelle de l’état-nation semble traverser une crise assez importante ; les repères historiques ont quelquefois tendance à s’estomper chez certains au profit de ce genre d’idéologie réactionnaire. Au besoin, les mêmes défendront une conception ethnique de la nation. J’y vois là pour ma part une pensée contre-révolutionnaire (c’est à dire dirigée contre les principaux acquis de la Révolution Française) qui marque un net recul par rapport aux idéaux des droits de l’homme, par rapport à l’universalisme et au cosmopolitisme. Ceci est à relier également à la recrudescence de la xénophobie et à la forme nouvelle qu’a pris le racisme qui se définit maintenant comme dïfférentialiste. Il peut s’agir à travers le celtisme de valoriser le terroir, même au prix de mensonges et de distorsions historiques et de tenter de promouvoir une prétendue identité ancrée dans un lieu, refusant toute idée de mélange, refusant tout nomadisme. Une question nécessaire reste ici à poser : comment défendre une certaine autonomie régionale (et comment ne pas retomber dans un jacobinisme de mauvais aloi ?) sur une base non-ethnique, ainsi que dans une nécessaire perspective européenne ? Le deuxième élément est en rapport avec l’histoire récente de la Bretagne. Le nationalisme breton, comme d’autres, a politiquement échoué à la fin des années 70. On peut peut-être interpréter le celtisme actuel comme une résurgence camouflée de ce nationalisme. En effet, on fait dorénavant référence à des peuples appartenant à des États différents pour exalter leur “héritage commun“. Par là même, l’accusation de nationalisme paraît plus difficile, étant donné que le celtisme semble transcender les frontières. Mais, étant donné aussi qu’il s’agit d’exalter une identité ethnique qui serait éventuellement fondée sur un droit du sang, on peut donc y voir peut-être une espèce de nationalisme honteux et caché, qui n’oserait pas dire son nom. Il n’est pas besoin de dire quelle pourrait être la force d’une telle passion, ni non plus sa possible nocivité. Disons que contre ce genre d’idéologies, qui font irrésistiblement penser à ce qui s’est passé en Europe à partir des années 30, il s’agirait de promouvoir, au contraire, une conception non-ethnique de la nation, qui serait fondée sur le droit du sol et qui reconnaîtrait comme principe la liberté de circulation des personnes et des idées. La question serait donc ici : comment défendre les cultures sans tomber dans le nationalisme ? L’avenir dira peut-être ce qu’il adviendra de ce courant. Celui-ci est d’ores et déjà utilisé par certains politiciens locaux, voire nationaux, à des fins que l’on imagine facilement. Il est plus que temps, à mon sens, de s’interroger sérieusement sur celle-ci et d’être particulièrement attentif à ses développements.’ Alain Bouchez,
Reproduit par l'hebdomadaire Breizh Info, n° 216, 21/03/2001, p. 10 (Culture) ; avec la présentation : |
|
|