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| UNE THÈSE D'UNE IMPORTANCE DECISIVE Il serait regrettable de passer sous silence la recherche la plus importante de ces dernières années pour ce qui concerne l'histoire du nationalisme en Bretagne : la thèse de Ronan Calvez, soutenue à l'Université de Brest en décembre dernier. Ronan Calvez, qui enseigne le breton à l'Université de Bretagne occidentale, analyse la radio de langue bretonne telle qu'elle fut pratiquée par Roparz Hemon à Roazon-Breiz de 1940 à 1946, puis par Per-Jakez Helias à Radio-Quimerc'h de 1946 à 1958. Son propos est de montrer les liens entre deux expériences aussi dissemblables et d'essayer de comprendre pourquoi Roparz Hemon, inconnu du grand public, est, comme il l'écrit, un mythe au sein du " mouvement breton " alors que Per Jakez Helias, si connu, est déprécié par ce même mouvement. Cela l'amène à reconstituer l'itinéraire de ces deux hommes, et c'est en quoi sa thèse, rigoureuse et précise, s'appuyant sur un remarquable travail de traduction de textes jusqu'alors inaccessibles aux lecteurs non bretonnants, est d'un grand prix. Louis Némo, dit Roparz Hemon (1900-1978) apprend le breton dans l'optique d'un nationalisme linguistique qui l'amène dès 1925 à créer la revue Gwalarn comme supplément au journal Breiz Atao dirigé par Olivier Mordrelle. Breiz Atao est clairement raciste et dérivera vers des positions nazies sans ambiguïté. Rien d'étonnant donc si Roparz Hemon s'engage dans une politique de collaboration résolue : invité par le professeur Weisgerber, Sonderführer de la Propaganda Abteilung, à prendre la direction d'un poste de radio dépendant directement des services de propagande allemands, il accepte, non seulement parce que le poste est grassement payé (500 francs pour une chronique de cinq minutes, quand un professeur de lycée touche alors 2500 francs par mois) mais par son souci d'inscrire la Bretagne dans l'Europe nouvelle. Directeur de l'Institut celtique, il dirige également la revue Sterenn (une revue de l'Institut culturel de Bretagne porte actuellement ce nom) et le journal Arvor où l'on peut suivre, de même que dans L'Heure bretonne, les programmes radiophoniques. Après avoir minutieusement reconstitué ces programmes, Ronan Calvez se base sur les minutes du procès Roparz Hemon, avec une grande équanimité, afin de permettre à ce dernier de témoigner pour lui-même : ce procès s'achève par une condamnation à dix ans d'indignité nationale, condamnation bien faible en regard des responsabilités assumées par Roparz Hemon qui, réfugié en Irlande où il a bénéficié d'un confortable poste de chercheur, n'a jamais manifesté ni regret ni distance à l'égard de ses activités passées. Soucieux de faire preuve de modération dans l'analyse du cas Hemon, Ronan Calvez semble, par contraste, sévère à l'égard de Per Jakez Helias. Né en 1914, bretonnant de naissance, et fils de paysans quand Hemon vient d'une famille bourgeoise, clairement inscrit à gauche quand Hemon, arguant de son apolitisme, s'inscrit dans une mouvance fasciste, Pierre Hélias se voit confier en 1946 une émission hebdomadaire en breton à la suite de pressions bien mises en lumière par Ronan Calvez. Avançant sur un terrain miné, Hélias doit rassurer chacun au risque de mécontenter tout le monde : mettre au point un breton accessible sans tomber dans la novlangue unifiée, parler pour tous, faire rire, rassembler. Il n'est pas certain que la dérive populiste qui lui est reprochée et qui rend son oeuvre souvent agaçante, lui soit entièrement imputable, car il donne ce qui répond à une attente, et il le donne avec assez de présence d'esprit pour que ce bricolage improvisé lui permette de tenir pendant douze ans, ce qui est déjà, dans le domaine de la radio, un exploit. S'il semble peu équitable de renvoyer dos à dos un homme payé par les services de propagande nazie pour diffuser à grands frais des programmes en breton et un homme chargé de tenir presque à lui seul dans un milieu plutôt hostile une émission hebdomadaire pendant douze ans, il serait aussi injuste de faire grief à Ronan Calvez de cette inéquité : elle n'est que trop révélatrice du malaise que la mouvance nationaliste a réussi, depuis l'ère de La Villemarqué, à faire peser sur ceux qui avaient le courage de vouloir s'en émanciper. On retrouverait dans le cas de Luzel la même lucidité acquise à ses dépens. La thèse de Ronan Calvez, qui a été soutenue avec les félicitations du jury décernées à l'unanimité, fait partie des travaux à partir desquels il ne sera plus possible d'ignorer des faits jusqu'alors niés et de penser l'histoire de la Bretagne comme elle l'a été jusqu'alors. Les attaques dont elle a déjà été l'objet dans Le Peuple breton (de la part de J.-D. Robin qui avoue d'ailleurs ne pas l'avoir lue) montrent à quel point les vérités mises au grand jour sont dérangeantes. Il est à souhaiter qu'elle soit largement diffusée, et qu'on relise alors à la lumière des faits exposés avec rigueur les écrits du directeur de l'Institut culturel de Bretagne, les dénégations du vice-président de l'Institut culturel, lui-même Président du Prix Roparz Hemon, et l'abondante littérature publiée sur fonds publics à ce sujet : une vision plus claire du mensonge, une réflexion sur les raisons de ce mensonge et une autre idée de la culture pourraient naître de cette confrontation. Françoise Morvan
Paru dans Bretagne Ile-de-France |
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