Ras l'front, "nationalisme"
 

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Chaud, le débat sur « Nationalismes et fascismes » en Bretagne !

 

A Rennes, s’est tenue le samedi 15 décembre 2001, une conférence organisée par Ras l’front sur les rapports entre nationalismes et fascismes dans la région bretonne. Voici le compte­-rendu d’une initiative réussie mais aux débats houleux.

A l’initiative de plusieurs collectifs Ras l’front bretons (Auray, Rennes, Saint-Malo, Trégor, Quimper). un débat public a eu lieu en décembre dernier à l’université Rennes 2, à propos des dérives nationalistes et identitaires constatées depuis quelques temps dans une frange visible (bien que minoritaire) du mouvement culturel breton, l’Emsav.

Préparé depuis plusieurs mois, préalablement annonce dans la presse et par voie d’affichage, le débat a attiré dans l’amphi une centaine de personnes, et quatre personnalités sont intervenues pour établir des faits autant que pour susciter des interrogations : Michel Denis (historien, ancien président de l’IEP Rennes 2), René Monzat (journaliste. Ras l’front, Françoise Morvan (écrivain, docteur-ès-lettres) et Christian Guyonvarc’h (porte-parole de l’Union démocratique bretonne, parti régionaliste de gauche).

 

Avant de lancer le débat et de distribuer la parole, un militant de RLF Rennes, Pascal, présente le réseau Ras l’front et rappelle les raisons de la démarche, à savoir que plusieurs évènements, très récents, ont attiré l’attention sur le contexte idéologique actuel dans la mouvance bretonne. Réhabilitation de l’écrivain collaborationniste Roparz Hémon, caractère très orienté de certains passages de la BD Histoire de la Bretagne (R. Sécher et R. Le Honzec), apparition de listes électorales d’extrême droite reprenant les thèmes de l’identité bretonne, activisme agressif d’ADSAV (« la Bretagne aux Bretons », et autres slogans de la même veine). Nous avons donc jugé important de centrer la réflexion sur ce sujet, en appelant à une prise de conscience générale des dangers potentiels de l’affirmation des culture minoritaires, en y associant bien sûr les représentants et acteurs du mouvement breton.

 

René Monzat a d’abord souligné la capacité de l’extrême droite à utiliser à son profit tout ce qui fait conflit dans la société, à s’infiltrer dans toute réalité contradictoire. Au fil des mutations économiques, sociales et politiques, la façon dont les citoyens se reconnaissent entre eux se transforme. Chaque fois qu’elle s’est manifestée, la montée des mouvements régionalistes a dû composer avec la présence puissante sur ce terrain de l’extrême droite. Elle a joué des régionalismes bretons durant la seconde guerre mondiale (PNB, Breizh atao) comme elle tente de le faire aujourd’hui : une continuité .historique très nette se révèle. Sa force lui vient de sa capacité à imposer un discours « naturalisant » les identités régionales (« les seules communautés sont celles qui sont créées par la naissance »ou « un peuple n ‘est peuple qu’homogène ethniquement ») et la réaction indispensable à ce discours doit s’exprimer à partir de mécanismes démocratiques de réflexion, en ne lui laissant aucune place possible.

 

Michel Denis a pris la suite, pour une prise de position à la fois plus affective et distanciée. Selon lui, le mouvement breton a constitué une sorte de « paratonnerre », pour les idées de l’extrême droite, qui ont plutôt moins pénétré en Bretagne qu’ailleurs, mais celle-ci a tenté d’utiliser le mouvement breton où se sont cristallisés les tourments identitaires.

Nationaliste (donc pour qui « la nation est une donnée per­manente a travers l’histoire, qui ne se discute pas »), la majorité du mouvement breton l’était jusqu’aux années 60. La rupture a eu lieu depuis à mesure que la démocratie a progressé en Bretagne. Autrement dit, les jeunes de l’époque ont commencé à poser le problème de façon différente que pendant les années 30-40, aidés en cela par la prise de conscience liée aux décolonisations de cette époque.

Mais si les générations nouvelles partent de bases différentes, les idées des années 30-40 cheminent encore, véhiculées par des individus, « par ailleurs respectables », qui persistent à amoindrir les crimes de la collaboration ou même à les justifier. Pour Michel Denis, ces analyses ne sont plus défendables dans le monde démocratique actuel (« race différente des Français », « origine spécifique des Bretons ») et en Bretagne, il convient d’être vigilant sur le choix des arguments, pour ne pas donner prise aux clichés de l’extrême droite.

 

Françoise Morvan enchaîne. Elle livre un exposé sans fard de faits très précis et troublants, révélant nettement un extrême confusionnisme clans le mouvement breton actuel. Si les pratiques d’ADSAV sont les plus visibles et condamnables, les acteurs les plus dangereux se replient dans d’autres structures cherchant la discrétion (Institut de Locarn, think-thank néo-libéral, presse bretonnante...) et plus éparses pour, à la fois, agir dans l’anonymat et jouer de l’accusation d’amalgame permanent. Un exemple, la célébration de personnalités douteuses par le journal Armor Magazine. Dans ses colonnes, un professeur (ex-directeur du département de celtique, vice-président du Conseil culturel et de l’Institut culturel breton, président du comité de soutien de la liste de l’UDB en Ille-et-Vilaine) a désigné ex-aequo au titre honorifique de « personnalité bretonne la plus méritante de ces trente dernières années » deux terroristes de l’ARB, dont l’un était un néo-nazi appartenant au groupe Devenir européen, ayant péri avec leur bombe.

Loin de s’émouvoir d’une telle béatification, dans un journal qui n’a rien d’extrémiste, l’ensemble du mouvement breton a cautionné ce geste, alors qu’un véritable débat aurait dû s’engager en son sein. Pire, c’est la gauche du mouvement qui monte au créneau pour défendre ces choix. Ainsi pouvait-on relever dans la presse de l’UDB que les protestations émises suite à cette affaire ne relevaient que d’une « campagne contre le mouvement breton ».

Françoise Morvan évoque quelques autres faits inquiétants de même nature, et relate brièvement les violentes attaques qu’elle et quelques autres ont dû essuyer de la part de l’ICB (Institut culturel breton) ou dans certains organes de presse comme Breizh info, après avoir rendu publiques ces affaires.

 

Pour finir, Christian Guyonvarc’h prend la parole, en mettant le doigt sur les contradiction de l’extrême droite française quant à la questions des régionalismes : le MNR affiché plus ouvert à la démarche « différentialiste », sous la direction de Pierre Vial (animateur du courant païen Terre et Peuple, à Lyon, alors que le Front national est resté plutôt jacobin. Mais selon lui, les identités régionales existent fondamentalement, tout autant que les apatrides, ceux-ci étant néanmoins un phénomène minoritaire. Le discours sur les identités alimente donc celui de l’extrême droite si l’on n’y prend garde. Aussi, les mouvements culturels ont joué bien davantage que l’activité politique dans la résistance aux idées de l’extrême droite en Bretagne. L’UDB revendique le droit au respect des identités de toutes origines, preuve en est de la composition de ses listes ouvertes à des militants berbères, mais refuse l’« auto-lobotomisation », c’est à dire de devoir renoncer à ses racines pour être jacobin.

 

Après cette quatrième et dernière intervention, la parole était à la salle pour un débat d’ensemble. De par les réactions minoritaires mais virulentes, exprimées parmi le public durant les interventions (en particulier celle de Françoise Morvan qui a dû faire face à des interpellations à la limite de l’invective), la discussion s’annonçait difficile, dans une ambiance lourde.

Nous devons dans l’ensemble constater que la majorité des remarques exprimées comme émanant des acteurs de l’Emsav l’ont été de manière défensive, mélange de scepticisme affiché et de relativisme systématique. René Monzat a dû s’expliquer après avoir été accusé de focaliser sur des populations qui « ne sont qu‘instrunentalisées ». Il a été également pressé d’émettre une position personnelle sur question de l’enseignement des langues minoritaires en milieu scolaire.

Dans un climat houleux, Françoise Morvan a dû répondre à des jeunes se présentant comme appartenant à Emgann (parti autonomiste, très à gauche) et rejetant globalement les mises en relation historiques des faits actuels, ceci ne les concernant pas. De plus, l’un d’entre eux lui a demandé pourquoi elle n’a pas porté plainte, suite à ce qu’elle « prétend avoir découvert », pour incitation à la haine raciale au titre de la loi Gayssot de 1972. Curieuse inversion de responsabilités, en fait. Certains jeunes présents dans la salle, au nom du mouvement breton, ont ainsi revendiqué le droit à l’indifférence sur une période pourtant charnière de l’Emsav, tout en érigeant en responsable celle qui a voulu briser cette indifférence au nom du devoir de mémoire historique.

Notre association a été également sommée de dénoncer comme raciste l’article 2 de la Constitution française qui – impose l’usage de la langue française sur le territoire national. Nous n’avons pas répondu sur cette question ne relevant pas du sujet principal de la journée.

 

Dans ce cadre, la réaction de Michel Denis à la tribune doit également être relatée et commentée. A la suite de l’exposé de Françoise Morvan sur l’affaire Armor magazine, il a réagi vivement en prenant la défense de son collègue victime d’attaques illégitimes qu’il a qualifiées de « délations ». Il a justifié l’estime qu’il porte à Pierre Denis (Per Denez) parce que les choix que ce dernier a fait sont ce d’un « homme de cœur ». Pour Michel Denis, un professeur peut donc cautionner le terrorisme au nom du « désintéressement », de la fidélité à un idéal et au nom du « cœur ». L’absolution publiquement donnée à ces conduites devant un public de nombreux étudiants nous est apparue assez grave et de nature à enfermer le débat dans une impasse.

 

Dès lors, nous ne pouvons que regretter que les vrais problèmes existant dans l’Emsav n’aient pu être abordées sereinement, en particulier l’instrumentalisation de l’identité bretonne par les intérêts industriels (autour de Locam), l’existence d’un courant fascisant existant bel et bien au nom de la Bretagne et pas seulement en France « jacobine ».

Souhaitons toutefois que les arguments et les informations fondamentales qui ont pu être apportées par les intervenants parviennent à trouver un écho favorable et puissent encourager la formation d’un débat entre toutes les tendances aujourd’hui très diverses, mais apparemment solidaires jusqu’au pire, de l’Emsav.

 

Régis et Dominique
(Ras l’front Quimper)

Ras l’front n° 86, février/mars 2002, p. 22

 

 

  

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