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| Dans une thèse universitaire consacrée à F.M. Luzel, Françoise Morvan, agrégée de lettres, Docteur dÉtat met en cause la mainmise des nationalistes bretons sur la culture bretonne. Un ouvrage très important pour qui sintéresse, à la culture et à lhistoire de la Bretagne vient de paraître aux Presses Universitaires de Rennes et aux Éditions Terre de Brume. Cest le résultat dun travail de longue haleine réalisée par Françoise Morvan, agrégée de lettres et Docteur dÉtat qui dirige lédition des uvres de François-Marie Luzel. Un ouvrage très important Ce folkloriste breton (1821-1895), fils de paysans du Trégor, a consacré sa vie à la collecte scientifique des chansons des contes et du théâtre populaires en Bretagne. Cest en étudiant cette collecte que Françoise Morvan a découvert le personnage. Elle sest aussi rendu compte que, durant sa vie et après sa mort, il avait été en butte à une défiance et une hostilité qui expliquent loubli où le plus grand folkloriste de Basse-Bretagne était tenu. En voulant len sortir, à son tour elle sest heurtée à lintégrisme des nationalistes bretons. Nous lavons reçue à " Bretagne-Ile-de-France ". Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : De très graves difficultés, oui, puisque tout a été fait pour discréditer cette édition, faute de pouvoir lempêcher. A lheure actuelle, jai quand même réussi à publier treize des vingt-quatre volumes prévus (le quatorzième paraît en juin) et je crois que cette édition (qui a été retenue par le Centre national du livre au nombre des grands projets éditoriaux du patrimoine français) bénéficie dun réel intérêt dans la communauté scientifique : jai dailleurs soutenu ma thèse avec les félicitations du jury à luniversité, je collabore au catalogue international du conte et je suis invitée à présenter mon travail aux ethnologue dans ce domaine. De plus, lédition en cours rencontre un véritable public, ce qui lui permet de se poursuivre Hélas, sans la moindre subvention en Bretagne de la part des militants nationalistes bretons qui ont (et cest là un grave problème, que jai découvert à mon corps défendant) la haute main sur ce qui touche à la culture bretonne.
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : A lorigine, une abracadabrante question dorthographe. Per Denez, qui dirigeait ma thèse sur Luzel, na pas admis que je publie les carnets en breton de Luzel en respectant leur orthographe. Il a résilié sa direction de recherches pour mettre en chantier une édition concurrente, entièrement réécrite dans lorthographe " surunifiée " pour laquelle il milite depuis lOccupation allemande. Nous avons donc deux éditions des mêmes textes : lune, bilingue, qu respecte les manuscrits, la mienne ; lautre que les réécrit (mais, en fait, ce ne sont même pas les manuscrits : pour aller plus vite, Per Denez publie des copies faites avant-guerre par Joseph Ollivier copies qui sont souvent très fautives). Une incroyable perte de temps et dénergie mais cette absurdité sexplique dès lors quil sagit coûte que coûte dempêcher que paraisse une édition contraire à lévangile nationaliste. Per Denez ma, de même, intenté un procès en diffamation, quil a perdu (jugement du 6 mai 1999) pour me contraindre au silence. Mon exclusion de la section Littérature Écrite de lInstitut culturel de Bretagne dont le vice-président est Per Denez, ma dénonciation par lettre circulaire auprès des membres de lInstitut culturel, les articles dans la presse nationaliste bretonne visaient au même but. Le problème est évidemment limpossibilité où se trouve une personne seule de se défendre face à une institution et à un étudiant de se défendre face au pouvoir mandarinal. Lorsque le folklore amène à de telles situations, cest que les enjeux sont vitaux et touchent à des problèmes à la fois historique et politique toujours actuels. Le premier qui dit la vérité Bretagne-Ile-de-France : Avez-vous abordé luvre de Luzel avec un parti pris anti-nationaliste ? Françoise Morvan : Mais non, pas du tout. Et cest bien ce qui fait que mon expérience devrait concerner bien des jeunes qui, comme moi, sintéressent à la culture bretonne en fermant les yeux sur lhistoire et en idéalisant le mouvement breton. Je me suis intéressée à Luzel parce quétant originaire de Rostrenen et vivant une partie de lannée en banlieue parisienne (mon père avait trouvé du travail chez Renault) je me trouvais dans une sorte dentre-deux que connaissent beaucoup de Bretons de Paris : dun côté, je connaissais ces chanteurs comme Lomig Donniou qui avait une grande culture mais une culture pour ainsi dire " non autorisée ", et de lautre, faisant mes études à la Sorbonne, je me demandais pourquoi rien de la culture populaire ne pouvait passer dans la littérature " autorisée ". Le folklore ne me semblait quune caricature. Pour essayer de comprendre les raisons de cette incompatibilité ou de cette trahison, jai essayé de remonter aux sources du collectage : jai notamment cherché le " Journal de route " de Luzel, et je me suis rendue à la Bibliothèque municipale de Rennes. Là, à ma grande surprise, je nai pas trouvé le " Journal de route ", mais jai découvert des centaines de contes, de chansons, de manuscrits prêts pour lédition, parfaitement microfilmés, et pourtant laissés à labandon par les universitaires et dautres spécialistes, normalement payés pour mettre ces textes à la disposition de tous Comment expliquer labandon où une telle uvre était laissée depuis un siècle ? Les problèmes que jai moi-même rencontrés pour léditer me permettent maintenant de répondre, je crois, et si jai rédigé une biographie de Luzel, cest aussi pour mettre en lumière les problèmes que pose la mainmise des nationalistes sur la culture en Bretagne.
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Luzel est un peu le dépositaire de la mémoire populaire : non seulement il a permis de sauvegarder ce que savons sur le théâtre paysan, genre autrefois prestigieux entre tous mais honni par léglise et tôt disparu, mais il a aussi été le premier collecteur de contes populaires et le premier à avoir osé publier les chansons réellement chantées par le peuple contre les chansons refaites par le vicomte Théodore Hersart de La Villemarqué dont le " Barzaz Breiz " publié en 1839 faisait alors autorité (et est encore réédité de nos jours par les nationalistes comme un volume parfaitement fiable !)
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Le " Barzaz Breiz " est une uvre réécrite dans un esprit militant, catholique, très marqué idéologiquement : certains chants prétendument bardiques sont des créations, dautres de compositions à partir de chants plus ou moins trafiqués, le tout se terminant par des cantiques ; cest un livre intéressant à mon avis, justement parce quil est faux : ce qui est grave est que lon ne puisse pas le dire sans paraître porter atteinte à la " nation " ! Luzel, lui a collecté sur le terrain et restitué ses trouvailles sans censurer les histoires de jeunes filles abusées par les seigneurs, les turpitudes du clergé, les revendications à légard des puissants, la misère des paysans La " querelle du Barzaz Breiz " qui, à partir de 1872, a opposé Luzel, le républicain, né dune famille paysanne, ayant le Breton pour langue maternelle, au vicomte de la Villemarqué, partisan de la renaissance dune nation bretonne à reconquérir, cherchant à imposer au peuple une langue unifiée malgré les variantes dialectales, épurée de tous ses emprunts au français, est, de toute évidence, à lorigine de la méfiance entretenue à légard de Luzel.
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Jétais bien loin de men douter quand jai commencé ma recherche et jignorais alors tout de lhistoire du mouvement breton ; face à un fonds dune telle richesse, jai pensé quil fallait le mettre à la disposition de tous, pour que les descendants des mendiants de Trégor qui avaient donné des contes à Luzel puissent dire à leurs enfants ces contes-là aussi bien que les contes de Grimm ou de Perrault quon trouve dans toutes les librairies. Jai donc fait un plan dédition minimal : 24 volumes, ça paraît énorme mais cétait le strict minimum, tous les contes, les chansons inédites, les pièces de théâtre, les notes de voyage et la correspondance avec Renan. Je pensais que le Conseil régional, les Conseils généraux, les mairies des villes où Luzel avait collecté pourraient sassocier pour aider une édition aussi importante pour notre patrimoine. Hélas, javais une vision idyllique de la situation ! Je navais même pas compris les enjeux de la querelle de lorthographe qui a provoqué cette invraisemblable polémique Le ZH de BZH Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Comme je lai dit, à lorigine du conflit, il y a eu ma décision, qui me semblait aller de soi, de respecter lorthographe des manuscrits bretons de Luzel. On sait que la question de lorthographe a pris une grande importance pour le mouvement breton à partir du XIXe siècle et cette importance est devenue véritablement brûlante après la dernière guerre quand le chanoine Falchun a remis en cause lorthographe " surunifiée " imposé en 1941 sur ordre du sonderfürher Weisgerber. Roparz Hemon, qui était réticent au départ, sen est vite fait le défenseur, au point décrire, en 1950 encore, quil fallait saluer " le 8 juillet 1941 comme le plus grand jour de lhistoire des Bretons " précisant que ce jour (celui de ladoption de lorthographe " surunifiée " dite " zh ") était le symbole de ces quatre années pendant lesquelles, " de 1941 à 1944, il passa un vent de liberté sur la Bretagne " Un vent de liberté qui navait pas été apprécié par tout le monde La mainmise des nationalistes sur la culture Bretonne Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Jai été stupéfaite, étant assignée à comparaître, de me voir demander 50 000 francs de dommages et intérêts parce que, ayant expliqué que Per Denez, " héritier spirituel de Roparz Hemon ", ne pouvait admettre que je respecte lorthographe de Luzel, il en déduisait que je le traitais didéologue nazi et que je le diffamais gravement. Je ne métais jamais intéressée à lhistoire du mouvement breton. Alors seulement, obligée dassurer ma défense, jai cherché ce quavait écrit Roparz Hemon et jai été effarée de lire ses articles et, plus encore, la presse bretonne sous lOccupation. Lire dans le journal Arvor que dirigeait Roparz Hemon " quobligatoirement les petits bretons doivent apprendre que les Celtes ont subi plusieurs siècles de honte et desclavage, depuis le temps où les légions romaines débarquaient dans lîle de Bretagne jusquau temps où feue Marianne livrait notre pays à ses juifs " et cela en première page, en éditorial, et le 29 juillet 1942, soit six jours après la grande rafle du Vel dHiv, sous la plume de quelquun qui était parfaitement au courant de lactualité, ça vous laisse pantois. Les parents qui mettent leurs enfants au collège Roparz Hemon seraient peut-être surpris de lire ces écrits Mais où laffaite se corse, cest quand on signale le problème comme " Le Pays Breton " la fait, puis le MRAP ce sont des institutionnels, comme le Directeur de lInstitut culturel, payé par le Conseil régional, qui jurent quon salit la mémoire du grand homme et quon persécute le mouvement breton.
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Cest un rôle pour le moins contestable, vous avez pu en juger vous-même. Quun membre soit exclu, au mépris des statuts, dans même pouvoir être entendu, comme je lai été, ainsi quAndré Markowicz, et après bien dautres, ça témoigne de pratiques curieuses Quon lui refuse un relevé écrit des subventions attribuées, pour un organisme appelé à verser des fonds publics, ça nest pas moins curieux Quon verse 40 % de subvention pour rééditer les textes d " Arvor " et de " LHeure bretonne " (y compris les textes de Youenn Drezen dénonçant, entre autres, les " juifs de radio-Londres " cest inquiétant et ce dautant plus que Per Denez léditeur, allègue en préface que ces articles de " LHeure bretonne " sont apolitiques ! Des éditeurs parmi les plus engagés dans le combat nationaliste dirigent des sections essentielles pour lobtention des subventions à lédition Et quand on sait que lactuel président est aussi Président de la Coop Breizh, éditeur et diffuseur, on peut conclure que le militantisme nationaliste breton a trouvé là sa pleine efficacité.
Bretagne-Ile-de-France : Françoise Morvan : Une tout petit grain de sable mais un grain de sable quand même, comme lavait été Luzel. Il était oublié parce quil dérangeait, il avait porté atteinte au père fondateur et avait toujours considéré les contes quil recueillait comme part du patrimoine universel. Raison de plus de le rendre actuel, quitte à encourir à mon tour les foudres de ceux qui souhaitent sapproprier la culture bretonne au nom de visées nationalistes dont on ne voit que trop aujourdhui dans le monde les effets pervers. Entretien avec
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