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« L’ordre de surunifier la langue est venu du gouvernement allemand ».
(Roparz Hemon)
« ar " zh " daonet » : le maudit " zh " ; « kasausat tra » : autrement dit : chose haïssable, inacceptable.
Qui parle ainsi du " zh ", symbole du breton unifié, dit encore " breton surunifié " forgé pour se substituer aux parlers bretons régionaux du Vannetais, de Cornouaille, du Léon et du Trégor qui étaient en usage jusqu’au milieu du siècle passé ?
L’appréciation est de Roparz Hemon, célébré comme créateur de ce " breton surunifié " (appelé " peurunvan ") et caractérisé par les autonomistes bretons comme le père de la langue bretonne, au point d’être présenté en modèle aux jeunes générations, ainsi que le rappellent le nom éponymique du collège Diwan du Relecq Kerhuon, près de Brest, celui du centre culturel breton de Guingamp, ou encore la dédicace qui lui est faite par le dictionnaire « Gériadur ar Brezhonnec » des éditions An Here .
« le maudit " zh " » symbolise " l’unification " de la langue bretonne locale vannetaise où Bretagne se dit « Breih », avec les autres langues locales bretonnes où Bretagne se dit « Breiz ».
« An urz da beurunvani ar yez a zo deut a-berz ar gouarnament alaman. » : L'ordre de surunifier la langue est venu du gouvernement allemand.
Qui parle ainsi des origines de ce " breton surunifié " ? C’est encore Roparz Hémon.
La première déclaration de Roparz Hémon date du 14 juillet 1941, la seconde du 26 juin 1941 [1]. Il est établi que c’est entre le 26 juin et le 14 juillet, le 8 juillet 1941, qu’est institué le " breton surunifié ", au siège du journal La Bretagne, dans une réunion organisée par le collaborationniste Yann Fouéré, dont le journal a été créé en relation étroite avec les nazis [2].
Dans la publication de l’association Emgleo Breiz déjà citée à la note 1 , il est fait état de la confirmation, par le même Fouéré, de la création « sur ordre » du " breton surunifié " :
« Mais en 1987 a paru le livre de Yann Fouéré : La Patrie interdite. Or, Yann Fouéré assistait à la réunion du 8 juillet 1941. Et il confirme que Roparz Hemon a bien déclaré que c’est " dre urz " (sur ordre) qu’il se ralliait au zh, " sans qu’il précisât de qui était venu l’ordre qu’il indiquait ". Cette précision se trouve dans la lettre à Meven Mordiern. (…) Roparz Hemon n’a jamais démenti sa lettre (il est décédé en 1978). » [3]
Roparz Hemon se rallie rapidement, comme on l’a vu, au " breton surunifié ", et en justifie l’intérêt politique :
« " Les Bretons devraient se faire un devoir de célébrer chaque année le 8 juillet 1941 comme une de leurs fêtes nationales ". Ce jour devint même pour lui le symbole de ces quatre années durant lesquelles, " de 1940 à 1944, il passa un vent de liberté sur la Bretagne " » [4]
Pendant la guerre, Roparz Hemon, est en fonction à la direction de Radio-Rennes (succursale de Radio-Paris, sous contrôle de l’occupant nazi), et payé par ces autorités d’occupation.
Collaboration active : Leo Weisgerber, le Sonderführer nazi associé à Roparz Hémon dans la direction de Radio-Rennes, est le représentant du « gouvernement allemand ». Leo Weisgerber est une pièce maîtresse de l’organisation de l’activité commune avec les nationalistes bretons Breiz Atao à Rennes, ce que confirment de multiples témoignages. Ainsi ce document :
« Monsieur le Président. Wei 19/92/3
Le travail du Professeur Weisgerber est d’une importance stratégique, parce qu’il est exécuté sur ordre du commandement militaire en France en liaison avec le ministère de la recherche du Reich pour maintenir par des séjours réguliers en Bretagne le lien entre l’Allemagne et le Mouvement d’Indépendance Breton.
9.6.43 Griewank » [5]
Dès 1934, en effet, le Sonderführer nazi Weisgerber justifie ses objectifs :
« La langue maternelle ouvre la voie, sur laquelle un peuple prend conscience de lui-même, renforce ses caractères communs, instaurés par les liens du sang et du sol, allant vers une communauté de pensée et d’action historiquement efficace, et atteint son apogée par la création de valeurs persistantes profitables à tous les membres vivants et à naître de la communauté. » [6]
S’il faut une confirmation de cette " surunification " sur injonction des nazis, Armand Keravel, de l’organisation Ar Falz (association d’instituteurs pour le breton dans l’enseignement public), la donne en témoignant en 1947, quand les évènements sont frais dans les mémoires :
« Philologiquement, l’orthographe de 1941 est une monstruosité et tout le contraire d’un progrès. Elle porte la trace des trahisons de la guerre, car, si incroyable que cela soit, les Allemands ont mis le nez dans une affaire d’orthographe bretonne. » [7]
Le " BZH " est utilisé comme ciment et instrument de sélection d’une « contre-société nationale d’expression bretonne » [8], qui caractérise « (…) un certain mouvement breton fait de cercles concentriques — au centre, on est roparz-hémonien, à fond et sans nuances ; plus on s’éloigne du centre, moins on l’est, mais subsiste toujours un certain air de famille. » [9].
Appréciation à rapprocher de celle de quelqu’un côtoyant ce milieu, qu’il perçoit « Fonctionnant comme une micro-société – voire comme une contre-société – d’expression exclusivement bretonne » [10].
[1] François Marie Luzel, Françoise Morvan, p. 301, note 30, Terre des Brumes, 1999, citant les fac-similés publiés dans Les Orthographes du breton, Andreo Ar Merser, Brest, Emgleo Breiz - Brud Nevez, rééd. 1993
[2] « (…) depuis le mois d’octobre, je me suis efforcé de rassembler et d’unifier les autonomistes modérés. Les résultats essentiels que je peux vous annoncer sont : la fondation d’un nouveau journal (le quotidien " La Bretagne ", à Rennes) (…) Le journal qui va être fondé (il paraîtra vers le 15 janvier) le sera principalement avec la participation de Yann Fouéré et de Jacques Guillemot. (…) Heil Hitler ! Votre très dévoué Hans von Delwig Tiesenhausen ».
Archives secrètes de Bretagne 1940-44, Henri Fréville, Ouest-France, 1985 ; fac-similé p. 223-225, traduction p 52-53.
[3] idem, avec une référence à La Patrie interdite, Yann Fouéré, p. 277, France Empire, 1987
[4] Aux origines du nationalisme breton, Bernard Tanguy, UGE, 1977. « L’article de Roparz Hémon traduit par B. Tanguy est paru dans Al Liamm, mai-juin 1950, n° 20, p. 31 » : cité par Françoise Morvan, François Marie Luzel, p. 301, note 31.
[5] Leo Weisgerber und die Bretagne, Nelly Blanchard, Travail d’étude et de recherche, juin 1998, UBO
[6] La communauté linguistique et la communauté nationale et les tâches de formation à notre époque, Leo Weisgerber, 1934 ; cité par Nelly Blanchard, Leo Weisgerber und die Bretagne, Travail d’étude et de recherche, juin 1998, UBO
[7] Ar Falz , Avril-Mai 1947, n°9, p. 5
[8] La radio en langue bretonne, Ronan Calvez, p. 195, PUR, 2000
[9] idem, p. 293
[10] La pratique du breton de l’Ancien Régime à nos jours, Fañch Broudic, p. 327, PUR, 1995
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