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EXPOSITION DOUTEUSE AU MUSEE DE RENNES

A travers Seiz Breur, l'auteur affiche l'intention de «créer un art national» Breton

 

A l'initiative du Comité Identité Bretonne créé par la Mairie de Rennes se tient au Musée de Bretagne une exposition consacrée aux Seiz Breur, un groupe d'artistes bretons lié dès ses débuts au mouvement nationaliste breton et à ses dérives fascistes.

L'an passé, l'exposition consacrée au peintre Xavier de Langlais, lui-même membres des Seiz Breur, avait suscité des protestations, notamment de la Ligue des Droits de l'Homme.  En effet, les activités militantes de ce peintre, qui fut aussi écrivain, et eut sous l'occupation la responsabilité de la chronique en breton du journal pétainiste La Bretagne, étaient présentées élogieusement.  C'est néanmoins dans cette chronique que se lisaient les pires textes antisémites.  Il ne semble pas que ces protestations aient été écoutées.  Au contraire, la dissimulation des faits est plus insidieuse dans cette exposition, commanditée par six musées bretons et destinée à circuler largement.

  

ART OU PROPAGANDE NATIONALISTE ?

L'exposition que présente le Musée de Bretagne à Rennes pose un certain nombre de questions sur le plan scientifique.  Sans s'attarder sur l'accrochage, qui relève plus de la brocante que de la muséographie, on constatera que les Seiz Breur (qu'on appellerait plutôt des "designers,") appartiennent à une période de l'histoire des arts appliqués (grosso modo, l'entre-deux-guerres) où s'affrontent modernisme et "retour à l'ordre".  Inscrire ce mouvement dans l'histoire générale de l'art de cette période aurait permis de mesurer son apport à cette histoire.  Or, le contexte dans lequel on a voulu le situer est celui du mouvement breton (ce que les organisateurs nomment les "emsav" successifs).

Dès lors, il est clair qu'il ne s'agit pas ici de faire mieux connaître au public un aspect de l'histoire des arts du XXe siècle mais de le flatter en tentant de prouver qu'il existe un art breton non biniousard,, et que cet art a fait beaucoup pour la promotion de la culture bretonne et de la Bretagne en tant que nation.  Le titre de l'article en langue bretonne par lequel de directeur du Musée, concepteur de l'exposition, expose ses intentions dans le journal Breman est d'ailleurs "Krouin un arz broadel" (créer un art national)-

 

HISTORIQUE DU  MOUVEMENT DES SEIZ BREUR

A l'origine du groupe qui se baptisera des Seiz Breur la rencontre de Jeanne Malivel (1895-1926) et d'Olivier Mordrelle (1901-1985), étudiant en architecture, qui devait être condamné à mort à la Libération sans jamais renier ses accointances avec les nazis.  Mordrelle lance en 1919 le journal Breiz Atao, avec son cousin Jean Bricler (abattu par la Résistance en 1943 sur ordre venu de Londres), Francis Debauvais (qui devait engager dès avant guerre, le mouvement Breiz Atao dans la collaboration la plus résolue avec le nazisme) et Maurice, dit Morvan, Marchal (1900-1963), futur membre des Seiz Breur, inventeur du drapeau national-breton noir et blanc et futur directeur de la revue druidique nazie Nemeton.

Porteur des valeurs de l'extrême-droite, Breiz Atao fut dès le début l'expression d'un racisme qui faisait de la défense de la Bretagne opprimée par le France la défense d'une culture ethniquement pure, car celte, contre la déchéance de la France métissée.  Le volume le plus représentatif de cette idéologie est l'Histoire de notre Bretagne de Danio illustrée par Malivel, en 1922.  L'éloge du duc Jean ler qui "s'occupa activement du bien de son peuple" en chassant les juifs et l'illustration représentant la France volant la bourse de la Bretagne firent scandale en leur temps.  Elles viennent pourtant d'être rééditées.

A la même époque, Jeanne Malivel rencontre René-Yves Creston (1898-1964), sa femme Suzanne (1899-1979) et Georges Robin (1904-1928).  En 1923, ils décident de créer une confrérie d'artistes en lui donnant le nom de Sept Frères (Seiz Breur).  Les réalisations de ces artistes, associés à des artisans comme Christian Le Part (lui aussi exécuté par la Résistance) sont interchangeables : le décoratif s'inspirant des motifs celtiques devient le faire-savoir d'un art industriel, la variation de type ethnique visant à assurer un supplément d'âme aux formes stéréotypées et rassurer une clientèle petite-bourgeoise en lui offrant, avec des références à des formes identifiables (le vaisselier, le lit-clos, le costume) la caution de l'histoire, folklorisée.

Leur vision, qui n'est que l'expression de Breiz Atao dans le domaine de . l'art, trouve naturellement à s'exprimer comme complément artistique au supplément littéraire de Breiz Atao, la revue Gwalarn, dirigée par Louis Némo, dit Roparz Hemon (1900-1978), pionnier de la collaboration du mouvement breton avec les nazis.  Ce supplément artistique dirigé par Creston s'intitule Kornog, autrement dit Occident, ce qui l'inscrit bien dans le programme de Breiz Atao.

 

POUR ADHÉRER IL FAUT ÊTRE DE SANG BRETON

Pour adhérer aux Seiz Breur, il faut être de sang breton (article 1 du Règlement de l'Unvaniez Seiz Breur "Être né en Bretagne ou à l'étranger de parent bretons").  Rien d'étonnant si adhérent alors des collaborateurs de Breiz Atao comme Youenn Drezen (1889-1972) dont Creston illustre le Kan da Gornog (Chant pour l'Occident), dans la même thématique, et François Elles, dit Abeozen (1896-1963) qui prendra avec Hemon la direction de la radio bretonne sous contrôle des services de propagande allemande.

On conçoit que l'occupation ait été la période la plus faste qu'aient connue les Seiz Breur.  Encourageant en sous-main les visées autonomistes, les nazis permettent à une presse bretonne florissante de voir le jour.  Si L'Heure bretonne est ouvertement pro-nazie, Arvor, quoique partisan de "l'Europe nouvelle" se veut vitrine culturelle, tandis que La Bretagne de Fouéré affiche un pétainisme résolu.  En fait, la collusion entre ces journaux est telle que certaines polémiques sont organisées de concert.  Creston collabore à L'Heure bretonne comme à La Bretagne où, avec Xavier Haas et Langlais, il assure l'illustration de cette presse collaborationniste.  En fait, la collusion entre ces journaux est telle que certaines polémiques sont organisées de concert.  Creston collabore à l'illustration de cette presse collaborationniste.  En 1942, on trouve dans La Bretagne sous la signature "Seizh Breur", (donc avec zh, c'est-à-dire dans l'orthographe "surunifiée" imposée par le sonderfürher Weisgerber) une déclaration euphorique annonçant comment les Seiz Breur voient la Bretagne dans l'Europe nouvelle et revendiquent la leçon de vitalité raciale qu'ils ont données à l'Exposition internationale de 1937.

Le groupe prolifère, s'accroissant de nombreux militants comme Yann Goulet (1914-1999) chef des organisation de jeunesse du PNB, Guillaume Berthou dit Kervezhiou (1908-1951) ancien responsable du Parti national intégral, collaborateur des revues bretonnes nazies Stur et Galv.

 

L'INSTITUT CELTIQUE, 
FER DE LANCE DE LA COLLABORATION

C'est à l'initiative de Creston et Fréminville (alias Merrien) directeur de L'Heure bretonne, puis directeur littéraire de la Bretagne, lui-même membre des Seiz Breur, que l'Institut celtique est créé.  Directeur de la Commission des Beaux-Arts, Creston exerce une influence décisive sur cet organisme qui est le fer de lance de la collaboration en Bretagne. L'"Académie" des Seiz Breur, profitant de la vogue pétainiste de l'artisanat, est subventionnée par le ministère de la Production.  Par ailleurs, missionné par le Musée des Arts et Traditions populaires, Creston choisit de recruter Elies qui est pourtant l'auteur d'en texte violemment pro-nazi ("Dirak an dismantrou" : "Face aux décombres") publié dans L'Heure bretonne, puis dans Galv. La participation de Creston à la Résistance laisse perplexe en regard d'une activité poursuivie à l'Institut celtique jusqu'à la fin de l'année 1943 - et ce n'est pas sans regrets qu'il laisse Langlais lui succéder.

Nombreux sont les Seiz Breur qui sont arrêtés à la Libération. L'emprisonnement est souvent ce qui leur sauve la vie, tant la haine des "Breiz atao" est grande en Bretagne.  Yann Goulet, condamné à mort par contumace, s'enfuit en Irlande où il devient un sculpteur officiel.  Marchal, Elies, Drezen, Caouissin, Rafig Tullou, le druide fondateur de Kad et collaborateur de L'Heure bretonne, Dorig Le Voyer, le musicien des Bagadou Stourm, sont condamnés à des peines d' "indignité nationale".  Aucun ne semble avoir manifesté le moindre regret de leur passé.  Marchal et Tullou ont inspiré des cercles druidiques dont la revue Ordos liée au nouveau parti breton d'extrême-droite qui vient de se créer (Adsav) est l'expression actuelle.

 

OCCULTATION DE L'HISTOIRE.
BROUILLAGE IDEOLOGIQUE

Le texte de l'exposition ne fait aucune allusion à l'idéologie raciste qui sous-tend Breiz Atao dès ses débuts. L'unique allusion au racisme apparaît au détour d'une prétendue opposition entre une "gauche" autonomiste (dont le plus beau fleuron serait Maurice Duhamel, auteur dès 1912 d'une conférence intitulée «La musique celtique, expression de la race» qui fut publiée dans L'Heure bretonne le 12 avril 1941 comme preuve de fidélité à la "Cause bretonne" !) et une droite nationaliste qui, elle, se laisserait imprégner du fascisme italien et du totalitarisme allemand en sorte que l'hostilité à l'égard des «mocos» (français nés hors de Bretagne, de parents non bretons) et parfois même le racisme achèvent de placer le mouvement aux antipodes de la démocratie.  Le FN dans une telle perspective doit être aussi parfois même raciste.

Les dérives collaborationnistes des Seiz Breur sont, elles aussi, présentées avec une évidente partialité : ayant réussi à trouver deux résistants (ou plutôt un et demi, car Creston est pour le moins ambigu), on s'en sert d'arbre pour cacher une forêt pourtant bien sombre.  Ainsi peut-on lire : Creston, dont l'aversion pour le nazisme est vive et qui est peu suspect de sympathie pour le Maréchal Pétain apporte son aide au réseau résistant du Musée de l'Homme.  Mais cela ne l'amène pas à cesser son action bretonne : Nous devons maintenant construire.  Il ne s'agit pas de prendre parti pour telle ou telle conception de la Bretagne.  Nous sommes par essence au dessus des partis.  Nous servons uniquement la cause de l'art breton, de la pensée bretonne. Servir la pensée bretonne en collaborant à des journaux pro-nazis, incitant constamment à la haine raciale, cela mériterait quelques explications - mais l'unique page de L'Heure bretonne montrée dans l'exposition laisse à supposer qu'il s'agit d'un banal journal breton.

Rien donc des Seiz Breur dans la collaboration pour expliquer le discrédit où tombe ce mouvement après-guerre, on va jusqu'à écrire que certains, au comportement strictement ,"autonomiste", sont jugés sévèrement à la Libération par une opinion qui a totalement basculé et qui ne s'embarrasse pas de nuances.  Ce qui leur vaut cette incompréhensible persécution de la volonté répressive du nouveau pourvoir, c'est donc le comportement strictement "autonomiste" de quelques-uns.  Lesquels ? S'en prendre à l'épuration qui a parfois manqué de discernement, jetant un discrédit durable sur les mouvements culturels bretons, c'est sauver la mise à d'authentiques fascistes, qui ont effectivement discrédité tout ce qui touchait au breton.

  

Celtisme, ethnicité pensée totalitaire

VOICI LES PHRASES QUE LES ENFANTS NE DEVRAIENT PLUS JAMAIS PRONONCER

Les enfants qui visitent l'exposition reçoivent un dossier pédagogique. Celui-ci est édifiant.  Ainsi, parmi les phrases qu'ils ne doivent plus prononcer ( voir photo) ; "la Bretagne fait partie de la France".  Qu'en pensent les enseignants de Bretagne ? Quant aux contribuables républicains qui payent aussi ce type de propagande faite aux enfants...

 

Celtisme, ethnicité, revendication identitaire : la conception d'un art néo-breton développée par les Seiz Breur n'a donné lieu qu'à des création de seconde zone, idéologiquement marquées et qui devraient inciter à une réflexion sur les relations de l'art et de la pensée totalitaire.

Cet art de propagande donné pour exemplaire est présenté ici dans une perspective militante constamment tendancieuse : le livret pédagogique remis aux enfants n'épingle-t-il pas diverses phrases ringardes et grotesques qu'il s'agit de replacer dans la bouche de Bretons d'opérette ?  Exemple de phrases ringardes et grotesques : «Fais moins de bruit avec ta bombarde qu'on entende mon biniou», «Tu aurais pus laisser ta quenouille à la maison», «La Bretagne fait partie de la France».

C'est le grotesque drapeau français flottant sur la mairie qui prononce cette phrase ringarde.

 

Jean-Marc Huitorel et Françoise Morvan

N-B Jean Marc HUITOREL et Françoise MORVAN sont deux universitaire bretons qui avec beaucoup d'autres s'insurgent contre les dérives nationales fascisantes d'un certain milieu culturel. Françoise Morvan nous a accordé l'an passé un entretien à l'occasion de la parution des oeuvres de François Marie LUZEL dans une édition qu'elle a préparée et annotée.

 

                  Publié dans
                   Bretagne-Ile-de-France, janvier 2001, n° 22, p. 14-15

 

 

  

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