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Voilà maintenant la clé du rôle de Roparz Hemon, tel qu’il continue à être utilisé aujourd’hui :
« Au moment, en effet, où Roparz Hemon, prenait en charge – le 1er juillet 1941 – le secrétariat aux émissions radiophoniques de Radio-Rennes, il ne subsistait déjà plus aucun doute sur l’objectif de la tactique suivie par les autorités allemandes : Roparz Hemon serait l’agent actif du mouvement de restauration du parler breton et de l’unification de la langue ; il en serait assurément le leader sans que son action apparût, à première vue, fondée essentiellement sur des considérations politiques. (…)
Léo Weisgerber avait, en tout cas, dès l’été 1941, quelques raisons d’être satisfait ; elles étaient, pour une part, différentes de celles de Roparz Hemon soucieux, surtout, de cohérence et de pureté linguistique, conditions indispensables au rassemblement d’une véritable élite intellectuelle bretonne ce qui était son objectif premier dans le moment ; Weisgerber, lui, sans minimiser l’aspect littéraire et linguistique de la chose, n’oubliait pas, pour autant, ses aspects politiques et utilitaires qui militaient en faveur de l’élaboration d’une orthographe et d’une langue bretonne unifiée, débarrassées de vestiges dialectaux susceptibles de faire problème quant à la détermination des origines les plus lointaines d’une langue que n’éclaireraient pas les affirmations de la philologie germanique. » 67
Cela se vérifie dans les évènements, tels qu’ils apparaissent dans les journaux « Arvor » (hebdomadaire de Hemon), « La Bretagne » (quotidien « pétainiste » de Fouéré, voir plus loin), et « L’Heure Bretonne » (hebdomadaire du PNB) 68.
Suivons « L’Heure Bretonne » :
En tête de Une, 3 mai 1941, est inséré l’éditorial de Pendaran (Hemon), dans « Arvor » : « Échéance au 15 Juin : la lutte culturelle telle que l’ont connue maints petits pays d’Europe va commencer en Bretagne. (…) la lutte contre les ennemis de notre langue, les plus humbles comme les plus hauts placés, ne sera pas négligée. (…) une Europe nouvelle s’organise. ».
Éditorial de Delaporte : « C’est dans le tréfonds de l’âme bretonne que doit naître la mystique qui réveillera la Bretagne » 69
Éditorial de Delaporte, 21 juin 1941 : « Un grave problème pour la Bretagne de demain : La protection de la race bretonne ». Résumé : la race bretonne est pure, ce n’est qu’après 1918 que se fait l’invasion cosmopolite sur les plages, que sont envoyés par le gouvernement les nègres, nord-africains, levantins, asiatiques et juifs, avec l’alcoolisme.
En exergue, « Pour assurer l’avenir de la Bretagne : Un politique de la Race ? Mais oui… ». Également en page de Une : une caricature antisémite. 70
Dans la Une, 28 juin 1941 : « Les grandes puissances européennes entrent en guerre contre le Marxisme. Devant les menaces russes à l’égard de la Finlande et de la Roumanie, l’allemagne et l’italie entrent en guerre contre la russie sovietique (…) suite page 6 »
Éditorial de Delaporte : « La race bretonne doit être protégée de l’extérieur et de l’intérieur » : « Un Juif vaut bien un Breton (Marx Dormoy) (…) La race bretonne doit être protégée dans sa pureté ». Page 2 : « Quelques pensées de M. Salazar, rénovateur du Portugal ».
Page 6 : « Les grandes puissances européennes entrent en guerre contre le Marxisme (…) Moscou veut dominer et asservir tous les peuples européens, avec la complicité des seigneurs sémitiques de la City de Londres. (…) tous les esprits libres, soucieux de l’avenir de leur peuples, souhaitent la victoire prompte et totale des défenseurs du nouvel ordre européen. la direction de l’heure bretonne »
A coté de cet article : « après l ‘échéance du 15 juin : CROISADE. Nous lisons dans Arvor du 22 juin : ‘ La lutte culturelle est engagée. Aucun maître d’école adversaire du breton n’a été, à notre connaissance, molesté (…) Cela viendra peut-être un jour. Cela n’est pas encore venu. (…) D’abord, ce sera la croisade, la grande croisade pour enseigner aux 1.200.000 bretonnants à lire leur langue. (…) ‘ », signé " Pendaran " 71
Extraordinaire coïncidence de la planification nazie…
5 juillet 1941 : « Comment la Bretagne se défendit contre les Juifs (…) La Bretagne et les Juifs au XIIIème siècle (…) L’ordonnance de Jean Le Roux : (…) Que personne ne sera recherché pour avoir tué un Juif jusqu’à cette heure (…) » 72
A la Une, 10 juillet 1941, en gras : « L’unification orthographique de la langue bretonne est faîte (…) Ainsi se trouve levé le dernier obstacle pratique que l’ON opposait aux promoteurs du ‘ brezoneg er skol ’. Nous reviendrons sur cette importante décision qui est le fait des patriotes bretons seuls. Précisons dès aujourd’hui que la commission qui s’est chargée de mener à bonne fin cette délicate et patriotique mission comprend : MM. Perrot, Loeiz Herrieu, (…), Abeozen, (…) R. Hemon »
« De la Baltique à la mer Noire, la dislocation des forces soviétiques se poursuit. La Croisade antisoviétique marque chaque jour des points, et son succès, dont nous n’avons jamais douté, s’affirme, sur le plan intérieur et sur le plan militaire (…) »
Éditorial : « Nantes sera une capitale » 73
Remarquons la coordination avec « La Bretagne », de Yann Fouéré. A la Une du 12 juillet 1941 : « un évènement décisif dans l’histoire de la langue bretonne. (…) L’unification du breton écrit vient d’être réalisé, ainsi que nous l’apprend le communiqué ci-dessous, dont nous sommes heureux de donner la primeur à nos lecteurs ‘ Au cours d’une entrevue qui réunissait à Rennes, au siège de ‘ La Bretagne ‘ le 8 juillet 1941 (…) ‘ ‘ La Bretagne ‘ est heureuse d’avoir pu matériellement faciliter la réunion des hautes personnalités bretonnes qui viennent de donner une nouvelle preuve de leur patriotisme breton (…) »
Cet article se trouve en dessous d’une photo : « Sur les boulevards parisiens, cette boutique juive est devenue le siège d’un bureau où sont reçus les engagements pour la Légion contre les Soviets » (Légion des volontaires Français contre le Bolchevisme, Bureau de Recrutement) 74
Mais il importe d’être clair, et de bien insister : Roparz Hemon, et ses associé, ne sont pas des « instruments » manipulés, mais des organisateurs, appliquant la politique qu’ils ont élaboré dans Breiz Atao, appliquant la politique qu’ils ont élaboré dans Breiz Atao, même si cette politique est infléchie par les initiatives des nazis :
« Et voilà comment la Bretagne a été ressuscitée. (…) Par sa langue uniquement, et en chassant la langue de l’étranger. » (Roparz Hemon, An aotrou Bimbochet e Breiz / Monsieur Bimbochet en Bretagne, Gwalarn, 1925, p37) 75.
Conclusion : « l’unification » du breton a bien été planifiée par les nazis, et Roparz Hemon (et ses organisations), sur la base de discussions communes, résolvant les désaccords. Conjointement avec les nazis, l’opération est déclenchée au moment de l’invasion de l’URSS. « Échéance au 15 juin » veut dire Croisade pour le breton annoncée le 22 juin, veille de la Grande Croisade contre l’URSS. Ceci dans la collaboration avec le nazi Weisgerber. Et Roparz Hemon n’est pas l’associé des nazis, au milieu du déchaînement antisémite et pro-nazi de son groupe, de ses organisations ?
67 Henri Fréville, Archives secrètes de Bretagne 1940-44, p 86-87
Autre source : " Voir sa correspondance avec Meven Mordiern reproduite en fac-similé in ' Les orthographes du breton ', Emgleo Breiz, 1993 : ' An urz da beurunvani ar yez a zo deut a-berz ar gouarnament alaman. ' (...) ' L'ordre de surunifier la langue est venu du gouvernement allemand ' " Lettre du 26 juin 1941, citée par Françoise Morvan dans " François Marie Luzel, biographie ", Terres des Brumes, 1999, p 301, note 30.
68 L’Heure Bretonne n°s 43, 50, 51, 52, 53 de mai à juillet 1941 ; La Bretagne n°95, 12 juillet 1941
69 L’Heure Bretonne, n° 43, 3 mai 1941
70 L’Heure Bretonne, n° 50, 21 juin 1941
71 L’Heure Bretonne, n° 51, 28 juin 1941
72 L’Heure Bretonne, n° 52, 5 juillet 1941, page 3
73 L’Heure Bretonne, n° 53, 10 juillet 1941
74 La Bretagne, n° 95, 12 juillet 1941
75 Ronan Calvez, Département de Celtique, Université de Bretagne Occidentale, Brest : "Le réenchantement d'un monde. Mouvement breton, nazisme et émissions de radio en breton ", Colloque à l'Université Humbolt de Berlin, 28/03/1998, p 122-123
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